Le testament maloya d’Alain Peters, bluesman maudit de l’Océan Indien.

Tout le monde aime la musique qui chaloupe mais on y est encore plus sensible quand ce qui chaloupe est triste. Elle porte plusieurs noms : la saudade cap-verdienne, la soul noire-américaine, les litanies de caresses bulgares, les chants de marins bretons à la fête de la moule de Saint-Suliac en Bretagne. Et puis, il y a le divin Maloya à la Réunion. Son plus grand ambassadeur vivant dans le monde entier des dinosaures à aujourd’hui demeure bien sûr Danyel Waro, qu’on ne présente plus. Mais un des plus grands poètes que l’île ait jamais connue s’appelle Alain Peters.

Une légende qui n’est pas restée vivante bien longtemps. Son histoire est peu commune et universelle à la fois : un jeune homme extrêmement sensible et talentueux qui préférera vivre comme un oiseau dans la rue, avec du rhum et du zamal. Un genre de bluesman maudit de l’océan Indien, longuement confit dans l’alcool et mort d’une crise cardiaque à 43 ans.

Le Monsieur est né en 1952. Il aime la musique et Led Zepplin. Ce guitariste hors-pair est le premier à jouer du rock dans les bals et les mariages à la Réunion. À cette époque, la culture musicale réunionnaise renaît de ses cendres. Le maloya, blues créole par excellence, est enfin autorisé à sortir du cercle privé et familiale. 1976. Alain Peters décide de se faire ambassadeur de ses racines et de mettre en valeur la beauté de la musique ternaire réunionnaise. Une instrumentation épurée (les rythmiques sont parfois jouées avec des sacs plastiques), des incantations chaloupées, de l’espoir à chaque inspiration.

Alain Peters a véritablement inventé sa musique, du dark-maloya psychédélique et vénéneux, joué sous la menace de son takamba (une guitare basse traditionnelle du Sahel). Ses meilleures chansons, qui méritent de figurer dans le classement des plus tristes (et envoûtantes) du monde, sonnent comme un voyage initiatique vers les tréfonds, ou le naufrage mystique d’un Robinson qui sait qu’on le retrouvera trop tard.

En seulement trois albums, il a marqué une génération d’artistes. Et not réunionnais only.

À l’image de Moriarty, fans inconditionnels de la culture réunionnaise. Avec leur Wati Watia Zorey Band, ils consacrent à Alain Peters un album-hommage foisonnant de cuivres et d’arrangements à des kilomètres des versions originales. Leurs quelques maladresses dans la langue transpirent de bonnes intentions. Et c’est beau ! Dans cette chanson où il est question de dépendance amoureuse, les voix de Rosemary Standley et Marjolaine Karlin sondent la mélancolie du poète comme jamais auparavant. Pari gagné : faire un lien logique et fluide entre le blues américain et le blues du maloya.

Tiens, des artistes du label Nø Førmat! ! Vincent Segal et Piers Faccini : deux amis de longue date pour un duo qui aime écouter et faire de la musique ensemble. En 2014, ils sortent un album de reprises dont « Mangé pou le cœur », un des standards de la musique réunionnaise. Le balancement du début du morceau se transforme en urgence à la fin du morceau grâce au jeu du violoncelliste. Et ce texte de 1984 est encore d’actualité : « Partout i fait noir /Mi enterre pas l’espoir/Tout’ l’ temps soleil levé/Z’oiseaux la chanté/Moin si moin va chanter/Même l’est dur ma chanter/Si l’est dur ma chanter/Même l’est dur ma chanter« .

Et puis il y a ceux qui ont compris qu’Alain Peters était le Nick Drake réunionnais. Comme si la folk et le maloya avaient un enfant ensemble. D’ailleurs on veut bien faire des enfants avec Brice Guilbert : son album Firinga est l’une plus belles surprises folk de l’année. Firinga est un cyclone qui a dévasté l’île en 1989, mais c’est aussi le point de départ du divorce des parents du chanteur. Ils déménagent en métropole puis Belgique.

Depuis, Brice Guilbert n’a de cesse de chercher la chaleur et la nostalgie de ses souvenirs d’enfance à la Réunion de manière très sensible. Les morceaux sont enregistrés en seize pistes avec seulement des guitares et des voix. Autour de textes qui racontent des scènes emplies de nostalgie. Tout comme Alain Peters.

Voilà, si vous avez compris que la musique réunionnaise n’est pas seulement pleine de sable, de soleil, de mangues mûres et de robes fleuries … alors vous êtes prêt(e)s pour un voyage hyper-sensible où l’espoir et la mélancolie chaloupent ensemble. Peut-être même qu’ils font des coeurs avec les mains !

LA MINUTE COEUR AVEC LES MAINS : une chronique à retrouver tous les mercredis à 12h10 dans The Bird & The Bee, le super cool magazine d’actualité culturelle et locale de Radio Ellebore. 

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