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A la Merveille, de Terrence Malick

 

C’est l’histoire de Neil (Ben Affleck) et de Tatiana (Olga Hurylenko), de leur histoire d’amour aux tumultes passionnés, entre regain d’ivresse à Paris et au mont Saint-Michel et lente déliquescence d’un couple en Oklahoma, où caresses deviennent coups et baisers, désamour. Le doute craquèle l’édifice et les souvenirs heureux n’y feront rien. Au travers des différentes voix-off se faisant écho, la femme quitte l’homme avant de reparaître, mais une autre femme, blonde cette fois (Rachel Mc Adams), a croisé la route de Neil. L’Eglise de la petite bourgade est tenue par un prêtre déraciné de ses origines espagnoles (Javier Bardem) dont la foi en son Dieu s’effrite comme se désagrègent les sentiments du couple, à l’image d’une terre corrodée par la pollution. Le doute qui ronge l’amour, terrestre comme divin, c’est ce que Malick filme au travers d’images désincarnées. Ben Affleck (Argo), Rachel Mc Adams (Passion), Javier Bardem (Skyfall) : trois acteurs en vue à l’écran cette année qui intègrent avec plus ou moins de succès l’univers du réalisateur. Si la performance de Ben Affleck jure avec ce à quoi il nous a habitués, c’est bien à Olga Hurylenko que revient la palme ; douce et fragile, drôle et sentimentale, perdue mais gracieuse au bord du gouffre, elle souffle sa présence à un film guetté quelquefois par quelques longueurs.

 

Les premiers plans suffisent à nous inclure tout entier dans l’univers de Terrence Malick – professeur de philosophie avant d’embrasser la carrière de réalisateur qu’on lui connaît –, où l’on retrouve son style si caractéristique : une caméra vertigineuse qui vient danser autour de ses acteurs, des travellings, jeux de zooms avant et arrière, de plongées et contre-plongées sans cesse convoqués par ce formaliste virtuose. Plans fixes sur une orchidée ou la marée montante reflétant le Mont Saint Michel, couchers de soleil extatiques… ode à la nature, des plus grands espaces – steppes sans fin, prairies à perte de vue, champs de blé rougeoyants ou paissent des bisons – au plus insignifiant insecte en insert, on retrouve là l’expressivité formelle de Tree of life, doublée d’une sobriété retrouvée. L’histoire d’amour et de désamour se diffuse au gré des frôlements de mains, au détour d’une caresse ou d’un doigt détourant le visage de l’être aimé ; l’érotisme latent couvant sous chaque tissu, gaze ou rideau laisse à penser au Wong Kar-Wai d’In the mood for love.

 

Mais c’est surtout la lumière inondant le film qui enchante les pupilles. Quelques rayons filtrant au travers du feuillage d’un saule sur les quais de Seine, percées du soleil par les fenêtres baignant de clarté les maisons d’Oklahoma, silhouettes aux contours incandescents se découpant dans le clair-obscur, auréoles de lumière embrasant une chevelure blonde, la lumière est pour Malick le matériau central de son œuvre, depuis Badlands et Days of heaven, souvent esthétisation du réel, parfois halo mystique.

 

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            Mais la continuité avec ses films précédents ne se cantonne pas à sa visualité singulière ; la dimension cosmogonique imprégnant la plupart de son œuvre – Tree of life en premier lieu – se manifeste ici encore par la conception de l’existence comme cyclique. Valise faite et défaite, blonde effaçant la brune pour s’éclipser ensuite à son retour, structuration en flash-back, sac et ressac de la marée au Mont Saint-Michel, l’ensemble de ces signes fait sens vers une cyclicité essentielle – de la nature, des trajectoires humaines, des sentiments – tout comme cette boule de verre diffractant la lumière sur un buffet, ces manèges au tournis féérique ou cette pompe au mécanisme obsédant, isolée dans la prairie. L’absurde et le pessimisme sont les conséquences directes de cette cyclicité inaltérable. Neil, dont le désœuvrement croit à mesure, est l’un de ces Sisyphes modernes pour lesquels même le choix est impossible. Ces longs barbelés coupant l’image de manière récurrente, ces perspectives captivantes et ces palissades étouffantes marquant une dérisoire propriété sont autant de symboles de cette absence d’issue pour celui que le doute habite.

 

           Surtout, le film est marqué par une grande picturalité ; chaque plan est une véritable œuvre dont toutes les composantes participent de la signification. Musique, lumière et cadrage rapprochent chaque séquence d’un tableau dont le spectateur serait l’exégète. Malick joue d’ailleurs de clins d’œil explicites à l’histoire de l’art : sur un mur, on devine un Frans Hals, quand Tatiana découpe une Baigneuse de Rembrandt. On pense bien sûr aux femmes de Vermeer encloses dans un intérieur et baignées de la lumière du dehors, d’autant plus que de nombreux plans font référence à la tradition picturale de la scène de genre : des escaliers, des portes (comme dans Les Pantoufles de Van Hoogstraten), des coins de murs et ce magnifique plan d’un escalier séparant le couple comme à jamais. Mais on pense aussi à Hopper, ce peintre de l’attente, ce peintre de l’ennui, ce peintre de la désillusion, de la solitude essentielle : une femme erre seule entre les draps de son lit (Morning Sun, Hotel-Room), l’ombre des stores zèbre la peau nue d’un bras (Bad Boy d’un Eric Fischl qui puise son esthétique chez Hopper) tandis que la caméra fixe un instant une station-service déserte (le célèbre Gas).

 

           Alors, certes oui, les films de Terrence Malick peuvent parfois souffrir de certaines longueurs et boursouflures ; oui, son mysticisme peut sembler à certains proche d’un délire d’illuminé ou d’une prêche (trop) inspirée, mais son style et sa lumière inimitable, son a-narrativité et ses voix-off, son univers tout de songes, la puissance visuelle et la force d’expression du moindre plan font de Terrence Malick un réalisateur résolument moderne qui compte au rangs des grands novateurs du septième art.

 

 

Arnaud Idelon

 

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