The Youngblood Brass Band : l’interview

 

Le Youngblood Brass Band ou la fanfare hip-hop la plus badass de la planète.

Inspirés des brass band de la Nouvelle Orléans, le Youngblood Brass Band, originaire de Madison (Wisconsin), transmet son énergie intense et débordante à travers des sonorités aussi bien jazz, hip-hop que punk. Ce collectif de onze musiciens, précurseurs du riot jazz, mêle avec brio les différents visages de la culture afro-américaine. Armés de cuivres et de percussions, ces musiciens audacieux aux rythmiques enragées offrent des lives percutants.

Nous nous sommes rencontrés juste avant leur concert au Brise-Glace à Annecy, l’occasion de revenir sur le parcours du Youngblood Brass Band, les racines de la fanfare new-orleans, leur avis sur l’état du monde et ce qu’il y a de punk en eux.

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Une interview à écouter ou à lire ci-dessous (n’hésitez pas à recharger la page si le lecteur n’apparaît pas).

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Radio Ellebore : est-ce que tu peux revenir un peu sur le parcours du Young Blood Brassband ?

David Henzie-Skogen (membre fondateur, batteur et MC du YBBB) : on a commencé à jouer de la musique tous ensemble alors qu’on était encore au lycée, on devait avoir 14 ou 15 ans. Il y avait cette fanfare new-orleans qui jouait à Madison, on aimait beaucoup ce qu’ils faisaient donc on a lancé notre fanfare, on a joué avec eux aussi. On est allé de nombreuses fois à la Nouvelle-Orléans, on a étudié la musique pendant longtemps. Ça fait bien vingt ans au moins qu’on joue ensemble. Et puis quand on a eu 18 ou 19 ans, on a commencé à s’appeler le Youngblood Brass Band (la fanfare au sang neuf), à écrire notre propre musique.

Puisque nous ne venons pas de la Nouvelle-Orléans, la musique qu’on écrit ressemble beaucoup à celle de la Nouvelle-Orléans mais avec toutes nos propres influences aussi : du hip-hop, du rock, du punk et du jazz. A l’époque on ne réalisait pas vraiment que c’était bizarre, ou en tout cas nouveau, on s’en est rendu compte en quittant la Nouvelle-Orléans. Maintenant, nous ne sommes plus les seuls à faire ça. Il y a des tonnes de fanfare qui le font mais quand on était jeune… c’était vraiment frais.

Enfin voilà, on a fait des albums et de plus en plus de tournées, la première fois qu’on est venu en France c’était en 2003 et nous voilà en 2016.

Et vous êtes plus vieux.

Oui maintenant j’ai 21 ans ! (rires)

Alors c’est quoi exactement pour toi le « riot jazz », c’est-à-dire le jazz d’émeute ?

Au départ, c’était une blague. C’est un terme que j’ai inventé. J’en ai fait un autocollant que j’ai collé sur un de nos albums parce qu’à l’époque, dans les magasins de disques, il y avait un rayon rock, un rayon hip-hop… nous on a dit aux magasins de disques de nous mettre dans le rayon riot jazz (qui n’existait pas évidemment). Ça décrit plutôt bien notre musique en tout cas. Quand les gens me demandent quel genre de musique est-ce qu’on joue, c’est plutôt compliqué de la décrire … Je leur dis, est-ce que vous avez déjà entendu une fanfare new-orleans ? Ça ressemble à ça mais en plus hip-hop ou alors des fois j’explique que c’est plutôt proche de la forme originelle mais qu’avec des cuivres. C’est assez difficile d’expliquer, et si tu dis que c’est une fanfare hip-hop, ça ne provoque pas non plus une image très précise.

Donc voilà on a dit que c’était du riot jazz, je dirais en 2007 peut-être, et ce qui est étonnant c’est qu’ensuite, l’idée a essaimé. Au Royaume-Uni, il y a ce groupe qui s’appelle Riot Jazz Brass Band, et puis j’ai entendu parlé d’une émission de radio qui a repris le nom aussi, quelque chose comme l’heure du Riot Jazz.

On pourrait dire que c’est de la musique qui te fait danser, avec des cuivres, tout en étant assez agressif. En tout cas ce qu’on fait nous, ça dépasse le funk ou le jazz, il y a complètement cette idée d’agression qui nous rapproche d’une énergie punk rock.

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Mais alors contre quoi protestez-vous ?

On proteste contre … tout ce qui craint. Non je ne sais pas, le terme n’est pas forcément hyper-politique pour nous, on préfère se dire qu’il y a beaucoup d’énergie dans nos concerts …

Donc c’est plutôt l’énergie de la protestation, plutôt que la protestation elle-même ?

Oui, on ne s’intéresse pas vraiment aux gens qui passent leur temps à protester. Aux Etats-Unis, des fois ils se révoltent pour un match et des fois ils se révoltent pour de bonnes raisons. En tant que groupe, on est plutôt à gauche du côté politique mais la musique qu’on fait n’est pas politique en tant que telle.

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Puisqu’on parle de politique, de quel œil regardez-vous l’actualité américaine ?

J’ai du mal à croire qu’il y ait un groupe ou un artiste qui soit en tournée en France en ce moment et qui soit prêt à soutenir quelqu’un comme Donald Trump. Cet homme est une blague pour nous. Ce n’est pas difficile de jouer avec les peurs des gens, ça arrive partout, vous vous avez eu Sarkozy … Mais n’importe quelle personne censée voit bien qu’ils sont absurdes.

Mais Donald Trump, il est quand même au niveau au-dessus non ? Pour nous en tout cas. Des gens fous ont déjà été élu.

C’est clair, il est complètement à un niveau de stupidité supérieur. Il biaise le débat et déplace la morale. Quand t’y penses, c’est fou de se dire que Donald Trump fait passer George Bush pour un gentil vieil homme, tu vois, un gentil vieux papy … Il pousse les gens à trouver ça normal d’avoir de vieilles peurs racistes ou d’étranges tendances égoïstes. Il pousse les gens à s’emparer de tout ça. En tant que citoyen, je pense qu’il est ce qu’on appellerait un trou-du-cul typique. Le problème avec lui, c’est le culte de la personnalité qu’il a construit.

Je pense que l’Amérique survivra à Donald Trump, je ne m’inquiète pas trop. C’est plutôt pour les écoles qui ont de moins en moins d’argent que je m’inquiète. Ce qui est sûr, c’est que Donald Trump a changé le regard des gens sur la politique dans le mauvais sens du terme, surtout des gens de droite du côté conservateur et ça c’est pas top.

Nous, ça fait vingt ans qu’on fait le tour du monde en tournée, et je ne pense pas que quelqu’un qui voyage puisse être impérialiste ni même en accord avec Donald Trump. Certains américains pensent encore que les Etats-Unis sont le seul endroit qui soit libre. N’importe quoi ! En tout cas, nous on est tous à gauche. D’ailleurs la plupart d’entre nous espérait que Bernie Sanders gagne cette élection même si on sait bien que ce sera difficile pour lui d’aller jusqu’au bout.

Dans l’ADN même de la fanfare, il y a cette idée de partage et d’éducation populaire, et je sais qu’avec ton label Layered vous avez monté un collectif d’artistes autour de ces thèmes. Est-ce que tu peux m’expliquer ce que vous faites et pourquoi c’est important pour vous de transmettre ?

Oui, le label Layered est tout petit, en fait c’est mon label. Dessus, on a sorti les albums du Youngblood, ceux de mon autre projet, Cougar, et puis ceux de certains amis aussi … Il m’est arrivé d’organiser des concerts avec le label à Madison et puis j’ai eu envie de monter des masterclass avec des artistes qui passaient dans le coin. On est tous indépendant, on a tout fait nous-mêmes depuis le début et puis on est presque tous prof, en dehors du Youngblood on enseigne tous la musique. Moi je donne des cours de fanfare déambulatoire, c’est ce qui me prend le plus de temps à côté du Youngblood.

C’est une évidence pour la plupart d’entre nous, d’enseigner je veux dire, parce qu’on a tous eu des très bons professeurs nous-mêmes. Pas forcément à l’école hein, mais en musique les professeurs qu’on a eu étaient vraiment des mentors, pas beaucoup plus âgés que nous. Ils jouaient tous dans des groupes, ils nous ont pris sous leur aile. Surtout avec le new-orleans … on avait quinze ans, on allait à la Nouvelle-Orléans avec l’autre groupe, eux ils avaient 25 ans. C’est important de transmettre, vraiment, la fanfare c’est aussi un genre de musique assez méconnu autour du monde ou en tout cas sous-estimé. Il y a plein de gens qui savent qu’il y a des fanfares à la Nouvelle-Orléans mais ils pensent qu’elles sont seulement des animations de Mardi-Gras en ignorant tout de la tradition du jazz funéraire, de cette musique terriblement sérieuse et festive à la fois.

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Est-ce que tu peux m’expliquer les racines de la fanfare new-orleans ?

A la Nouvelle-Orléans, il y a peut-être 150 ans de ça, il y avait des associations qui aidaient les familles à organiser des funérailles ou des mariages. Les gens payaient un petit peu pour faire partie de ces associations communautaires, un peu comme une cotisation et en retour, la communauté se chargeait de tout. Et puis il y avait aussi des groupes de jazz associés à ces collectifs. C’est de là que vient le jazz funéraire à la Nouvelle-Orléans. Quand quelqu’un mourrait, il y avait une marche, un cortège jusqu’au cimetière avec la fanfare qui jouait des chansons tristes et des morceaux de gospel. Et puis quand tout ce petit monde revenait ensuite du cimetière, et les musiciens entonnaient des chants de gospel très joyeux, généralement des chants que tout le monde connaît comme « The Saints Go Marchin’in ». Voilà d’où viennent ces chansons.

Le jazz qu’on trouve à la Nouvelle-Orléans est un jazz festif, un jazz sur lequel on peut danser, il a ses racines dans les rites funéraires, en tout cas autour des questions de vie et de mort. Toute la musique de la Nouvelle-Orléans est imprégnée de ça aujourd’hui encore, c’est une musique très vivante, très joyeuse et pourtant très sérieuse, on sent qu’elle vient de loin et qu’elle a un très grand rôle culturel. Et je pense que c’est pour ça qu’on a tous été naturellement attiré par cette musique. On jouait tous des percussions ou alors des cuivres à l’école. Alors on aurait pu jouer dans des groupes de funk ou alors des groupes de ska mais la musique de la Nouvelle-Orléans a ce truc vraiment unique, elle est riche et elle porte comme un supplément d’âme avec elle. Le ska aussi si on va par là, il vient du reggae tout ça …

Mais pour moi vraiment c’était évident, surtout en tant que batteur. J’ai joué dans des fanfares, et puis j’ai beaucoup étudié les percussions ouest-africaines. La musique de la Nouvelle-Orléans est la combinaison parfaite de la fanfare et de la musique ouest-africaine. Ça m’a toujours rendu dingue. Déjà parce que j’aime jouer fort,  oui j’aime quand ça joue fort (rires), et j’aime aussi que ça implique plein de gens et ça c’est très énergisant.

Il y a aussi un lien très fort avec l’improvisation.

Oui bien sûr. Nous, on a tous grandi pour être des improvisateurs, on a tous étudié le jazz aussi pour ça, pour être capable d’improviser. On voulait jouer des trucs qui groovent et que ça envoie du lourd. On voulait jouer fort et transpirer beaucoup.

C’était cool de jouer avec Talib Kweli ?

Oui ! C’était il y a 15 ans … Quand je l’ai rencontré, j’étais un gamin, un gamin stupide. C’était super cool. J’avais 21 ans et je voulais vraiment qu’il y ait Talib Kweli sur l’album alors j’ai appelé son manager, tous les jours. Je lui disais « hey je t’ai envoyé une cassette, il faut vraiment que tu l’écoutes, je t’ai envoyé une cassette, t’as écouté ma cassette ? », et j’ai dû tellement l’énerver qu’il a finit par écouter la cassette et il l’a aimé. Donc on est parti pour New-York et on a fait ce morceau. Et c’était cool.

En parlant de New-York, c’est quoi le truc avec ce morceau Brooklyn ? Parce qu’à chaque fois, dès la première note, le public devient fou …

Je ne sais pas ce qu’il y a avec ce morceau mais ce qui est drôle, c’est que ce morceau n’a rien à voir avec New-York. En fait, il y a une ville dans le Wisconsin d’où on est originaire qui s’appelle Brooklyn, c’est une petite ville au sud de Madison où l’on vit tous. Et c’est Nat’ – qui joue du soubassophone – qui a écrit cette chanson. Il vivait à Brooklyn. Il a écrit cette chanson alors qu’il était en train de conduire de Brooklyn à Madison. Donc je ne sais pas vraiment ce qu’il y a avec ce morceau, mais c’est vrai tout le monde l’aime. C’est souvent comme ça, une histoire d’être au bon endroit au bon moment.

Ce morceau, c’est le premier avec lequel les gens ont vraiment connecté et c’était la toute première fois qu’on venait jouer en Europe. Je pense qu’on a d’autres morceaux qui sont tout autant cool à jouer mais c’est vrai que, pour je ne sais quelle raison, c’est celui-là qui nous représente.

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Tu évoquais Nat MacIntosh à l’instant … Avec son soubassophone, il est capable d’imiter du scratch comme un DJ ou des riffs de guitares ou le son du didjeridoo. Qui est cet homme ?

Je pense qu’il n’y a pas de danger à dire qu’il est le meilleur joueur de soubassophone du monde entier, surtout quand il s’agit de groove et de fanfare. Il sait imiter les scratchs des DJ et tous ces trucs parce qu’on aime le hip-hop, mais qu’on voulait le jouer acoustique au sein du Youngblood. Donc il a développé toutes ces techniques incroyables pour créer de nouveaux sons. Mais il a aussi un talent fou pour le groove et il sait comment arranger des morceaux comme personne. Il est vraiment impressionnant. Tout le monde le connaît et aime le voir dans les concerts.

Si tu joues de la guitare ou de la batterie, il y a plein d’endroits où tu peux jouer de ces instruments surtout quand tu es batteur d’ailleurs, tu peux en jouer pour quasiment tous les styles de musique. Mais quand tu joues du tuba ou du soubassophone, tu vas jouer de la musique classique ou alors de la polka.

Tandis qu’une fanfare, c’est quand même le meilleur endroit pour un soubassophone, ça devient un truc super badass. De même que la fanfare est la meilleure forme quand il s’agit de faire du hip-hop acoustique parce que tu peux jouer hyper-fort et jouer dans la rue.

C’est important pour vous de jouer dans la rue ? Ça fait partie intégrante de la fanfare.

Oui, c’est comme ça qu’on a appris à faire de la musique et c’est ce que les gens aiment avec les fanfares. Tout le monde est debout, les gens peuvent se déplacer autour de nous. La vérité, c’est que le Younblood aime être sur scène, parce qu’on aime avoir des grosses basses bien puissantes et on aime faire danser les gens sur du gros son. Mais nos plus belles expériences ont eu lieu dans la rue et à l’extérieur des clubs. Les fanfares de la Nouvelle-Orléans jouent dans la rue et c’est une fête incroyable, comme avec la samba au Brésil ou la rumba à Cuba ou les balani en Afrique de l’Ouest. Les musiques traditionnelles et leurs folklores sont vraiment passionnantes. J’aime quand une musique est faite par pour et avec une communauté.

Bon avant de se quitter, est-ce que tu peux me parler de votre nouvel album ?

C’est un EP et pour la première fois, il est exclusivement composé de reprises. Ce sont 6 titres que les gens ne s’attendent pas du tout à nous voir jouer … et c’est cool, les arrangements sont vraiment top. On va en jouer plein ce soir. Et après ça, on va rentrer chez nous, le terminer et si tout va bien, on le sortira début 2017 !

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