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Celle qui s’amuse à dire qu’elle a vécu une révélation le jour où elle a relié une pédale à distorsion à un basson est aujourd’hui devenue la figure de proue incontestable de la nouvelle musique classique britannique. En hyper-activiste de la musique classique, Anna Meredith la compose, la tord, la chante, l’étire jusqu’aux confins du body drum, du beatbox, du rock, de la littérature ou de la techno. Anna Meredith joue au présent, résolument, une musique classique qu’elle ré-invente constamment.
Signée chez Moshi Moshi (Hot Chip, Lykke Li, Disclosure), les festivals du monde entier se l’arrachent depuis que Pitchfork a mis le doigt sur Varmints, un premier album brillant qui l’a tiré de la confidentialité après un opéra, des concertos, une pièce de percussions corporelles pour l’Opéra de New-York et trois EP très réussis. Et Pitchfork a bien fait car sur scène, la musique de la compositrice prend une toute autre dimension encore.
Un live d’Anna Meredith vous met une claque. Une claque d’avant-gardisme en pleine face qui, pour autant, ne vous laisse pas sur le bord de la route tant ce voyage expérimental est inouï, donc fascinant. Nous en avons fait l’expérience au début de l’été dernier au Pohoda Festival, sous les ciels immenses de Slovaquie. Un concert percutant qui nous a donné une idée de la richesse et de l’immensité de l’univers sonore d’Anna Meredith.
Une interview à écouter (en immersion dans le son d’Anna Meredith) ou à lire ci-dessous.
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Radio Ellebore : Tu viens du monde de la musique classique, que tu as étudié à la Royal Academy of Music en Ecosse, et une des premières choses que tu as écrite, c’est un opéra qui s’appelle Tarantula in Blue Petrol. Tu m’en dis plus ?
Anna Meredith : c’est l’œuvre d’un auteur incroyable qui s’appelle Philip Ridley. Il écrit des histoires passionnantes pour les enfants et des pièces de théâtre brillantes. C’est lui qui a trouvé le titre de cet opéra, d’ailleurs toutes ses histoires ont toujours un univers vraiment magiques et des titres complètement fous, il fait souvent intervenir des animaux mais toujours dans des situations toutes pétées. Ce qui est sûr, c’est qu’il a un imaginaire des plus géniaux.
Cet opéra, c’était le premier mais c’était surtout un énorme challenge parce que je n’avais jamais écrit quoi que ce soit d’aussi long. C’est vraiment différent d’écrire un morceau de trois minutes voire même dix et un opéra qui dure une heure et demie, et qui illustre en plus une histoire. Avant ça, je n’avais jamais eu à prendre en compte les mots, leur impact, leur sens et leur matérialité. C’était super stressant pour moi au début, très intimidant parce que là, il fallait raconter une histoire.
Tarentula in Blue Petrol, c’est l’histoire de cette fille qui fait des sculptures dont cette gigantesque tarentule de métal qui attire les gens dans un canal, et ils meurent tous dans d’incroyables douleurs… que des trucs super dramatiques. D’ailleurs sur scène, on avait une immense araignée, c’était très impressionnant. Enfin voilà à la fin, ça donne une pièce pour chanteur, avec des guitares électriques et des parties électroniques, alors que je ne savais pas du tout où j’allais au départ. C’est la première fois que j’ai touché à l’électro d’ailleurs.
Après ça, tu t’es lancée dans une autre fusion du genre, tu as fait un concerto, « Concerto for a Beatboxer and a piano » …
Oui c’est vrai mais quand j’écris je ne pense pas du tout en ces termes, je ne me dis pas « tiens je vais prendre un peu de çi à la techno un peu de ça au rock ». Quand j’écris je pars plutôt du sujet et je vais chercher ensuite les instruments nécessaires pour lui donner vie. J’aurais pu aussi écrire un concerto pour une petite cuillère ou un concerto pour une tasse … mais là, je ne sais pas ce que ça aurait donné !
En tout cas, le fil rouge évident de tout ton travail, c’est celui de ton amour pour l’expérimentation.
C’est vrai, mais j’ai vraiment dû me pousser et puis je ne suis pas vraiment la meilleure quand il s’agit de dire non alors quand quelqu’un vient me voir et me propose un projet fou, je fonce. Et puis j’aime profondément essayer tout ce que je n’ai pas encore fait donc tant que je peux tester et me mettre au défi, je le fais que ce soit de la musique de films, un projet pour les enfants, une pièce pour du body percussion … j’adore le challenge.
Tu parles de percussions corporelles, tu as aussi fait une pièce qui s’appelle Handsfree. Quelles frontières du corps voulais-tu explorer ?
Ce projet est né après le concerto du Beatboxer, sans ça, je n’aurais pas eu assez de confiance en moi pour être sûre que je connaissais des bons sons à faire avec le corps et comment les lier dans toute leur musicalité. Au début, on m’a demandé d’écrire ce projet plutôt sur du clapping à la Steve Reich, bon j’aime beaucoup Steve Reich mais je n’écris pas de la musique minimaliste suffisamment plate pour qu’elle soit méditative.
Moi je voulais quelque chose de bien plus dramatique, bien plus en mouvement, alors je me suis tournée vers les percussions corporelles et le beatbox. J’ai observé le travail de plusieurs chorégraphes pour étudier le mouvement des corps parce que la musique peut-être très visuelle aussi. Si vous ne l’avez pas vu allez voir sur Youtube, elle y est. Je voulais une œuvre globale, que tu puisses apprécier la musique et l’orchestre dans leur ensemble mais aussi que lorsqu’on y regarde de plus près, on puisse être surpris par l’intensité des corps.
Dans ton travail, j’ai la sensation que tu laisses beaucoup d’espace à la musique, une grande liberté de se développer en tant que tel.
Oh c’est gentil ! Oui c’est vrai tu sais, je ne veux pas écrire de musique qui ne me passionne pas, je ne sais pas faire semblant. J’ai besoin que chaque note compte, qu’elles vibrent toutes. Quand j’écris, je veux que ça tourbillonne, que ce soit fort. Que ça vive et que ça pulse.
C’est quoi l’endroit que tu préfères pour écouter de la musique ?
Le truc, c’est que je n’écoute vraiment pas beaucoup de musique mais j’ai mis du temps à y arriver. Beaucoup de mes amis écoutent des tonnes de musique, ils me disent que ça les énergise et que ça les inspire beaucoup. Mais pour moi ça ne marche pas. Quand j’écris de la musique, c’est-à-dire à peu près tout le temps parce que c’est mon métier, et que j’écoute un autre artiste, je vais être là « wooa oh mon dieu ce James Blake est génial ». Mais après je vais me retrouver en train d’essayer de faire comme lui mais alors je fais un très mauvais James Blake, un terrible James Blake ! (rires)
Donc j’ai dû apprendre à ne pas écouter de musique et à m’en préserver parce que sinon, j’écris vraiment des trucs nuls. Mais alors par contre, j’adore les livres audios ou alors écouter la radio surtout la BBC 4. Ce flot de paroles discontinu est vraiment apaisant pour moi. J’écoute ça quand je vais me coucher quand je cuisine oh oui quand je cuisine c’est vraiment ce que je préfère, tu peux écouter d’une oreille et touiller tes pâtes en même temps …
Tu as travaillé avec James Blake n’est-ce pas ?
Oui, j’ai fait plusieurs de ses premières parties, on se connaît bien. Il est bien plus classe que moi, moi je ne me trouve pas très distinguée, lui il a tellement de dignité, il y a beaucoup d’espace dans sa musique, j’ai même eu une période où j’étais complètement obsédée par son travail (rires) ! Je l’aime beaucoup.
Pourquoi la musique classique ? C’est quoi qui t’anime ?
Moi ce qui me plaît dans la musique classique, je crois que ce sont avant tout les instruments. Quand tu vas voir un concert, même si tu n’es qu’à vingt mètres, il y a déjà suffisamment de distance pour que tu aies l’impression de regarder la télévision et c’est vraiment dommage toute l’énergie de l’orchestre s’évanouit. Mais si tu peux t’approcher vraiment très très près d’un orchestre, voire t’asseoir dans l’orchestre, tu demandes « eh est-ce que je peux m’asseoir à côté du violon ? », wooa le son est incroyable et l’énergie tellement puissante. Evidemment ça n’a rien à voir avec les instruments électroniques ou même les instruments amplifiés.
Les vrais instruments vibrent, ils créent le volume et l’amplifient juste là à côté de toi … c’est dingue. Quand j’étais petite, je jouais de la clarinette dans un orchestre, et quand tu joues de la clarinette tu es assis pile au milieu. Tu as les cuivres derrière toi, les cordes en face, les bois et les vents sur le côté, et j’avais la sensation d’être assise au cœur, non, dans le cœur du son. C’est complètement fou. J’aime cette relation viscérale, l’énergie qui est propre aux instruments classiques, cette physicalité du son et de l’instrument, quand tu pinces une corde, elle vibre et le son prend vie. La traduction est très directe.
Et puis ce qui me plaît avec la musique classique c’est qu’elle peut se jouer partout. Qui a dit qu’elle devait simplement se jouer dans une salle de concert super chic ? Ces instruments portent en eux le potentiel d’enrichir de très nombreuses situations de par leur simple présence.
Moi ça me rend triste quand j’entends des gens qui disent « ooooorf » quand ils pensent à la musique classique, parce que dans leur tête ils pensent tout de suite à de longues heures d’ennui mortel ou à des salles de concert bien trop chics pour eux. C’est un préjugé, une préconception et les gens s’en tiennent là au lieu d’aller voir de plus près ou de chercher le répertoire qui leur convient … !
Et alors qu’est-ce que tu pourrais dire à ces gens pour les inciter à aller plus au contact de la musique classique ?
Vraiment, de laisser tomber leurs préjugés et surtout, de ne pas catégoriser la musique. Tu vois, que tu aimes la country ou la dance music, ce qui te plaît au fond, c’est une bonne mélodie, un bon beat ou des bonnes lignes de basse. Tous ces éléments sont aussi présents dans une bonne musique classique. Dans la Sinfonieta de Janacek par exemple, le premier mouvement a une ligne de basse et un beat extraordinaires qui portent un ensemble de cuivres avec ces trompettes là et t’entends le « poumpoum ». Ce mouvement, je l’ai fait jouer dans une émission de radio et l’animateur lui-même m’a dit « booorf c’est de la musique classique », mais non, c’est un beat ! Le problème, c’est qu’on laisse le genre catégoriser ce qu’on entend et c’est très réducteur, c’est vraiment dommage parce qu’on passe à côté, du coup, de l’énergie et de la beauté de certaines œuvres.
C’est quoi une bonne mélodie pour toi ?
Janacek est un bon exemple de ce qu’est une bonne mélodie pour moi, une mélodie sauvage avec plein de couleurs. D’ailleurs quand tu poses cette même question à de grands compositeurs, beaucoup te parleront de Janacek, c’est un autodidacte, il n’écoutait pas ou très peu le travail d’autres musiciens du coup sa musique est unique, un peu sauvage. Oh il y a cet opéra absolument remarquable qui s’appelle The Cunning Little Vixen, c’est très très beau, tout à fait unique, il s’approprie le son sans suivre aucune règle établie c’est magnifique.
Dans Varmints, ton premier album, tu chantes. C’est assez nouveau pour toi d’utiliser ta voix comme un instrument ?
Oui, je chantais un peu avant, assez timidement d’ailleurs dans un des EP que j’ai publié avant cet album mais je manquais un peu de confiance en moi. C’est vrai que ça fait peur, parce qu’avant, j’avais surtout composé de la musique que d’autres interprétaient, moi je me tenais à l’écart de la représentation. Là, c’est un tout nouveau challenge. Je sais que je ne suis pas la meilleure des chanteuses, mais je pense que c’est mieux d’être responsable de tout ce que tu fais, d’être courageux et de se lancer.
Ça t’arrive de jouer ta musique devant des gens qui ne la comprennent pas du tout, qui viennent en s’attendant à écouter de la musique classique … classique ?
Oui souvent et j’adore ça ! J’adore voir leur tête quand ils se rendent compte qu’ils ont un ovni en face d’eux, les gens de la musique classique me disent « oooh mais c’est trop fort, il y a trop de percussions c’est trop répétitif, trop minimaliste », les gens de l’underground me disent « oohh mais c’est trop fou, c’est trop calme », mais moi je m’en fous et je fais ce que j’aime !
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