Nuri Bilge Ceylan, poète solitaire et artiste à part, n’a pas eu peur de livrer aux spectateurs une création de presque deux-cents minutes. N’en déplaise aux producteurs, Winter Sleep est en marge d’une industrie cinématographique faite de conventions et de règles parfois castratrices. En plongeant dans la vie d’un comédien à la retraite, ce n’est plus un simple film que nous contemplons mais une œuvre d’art, une expérience unique où le temps s’est arrêté depuis que les première rafales de vent ont annoncé l’hiver.
La beauté de cette Anatolie centrale n’a d’égal que son surréalisme. Les flocons flottant dans ce ciel immense accompagnent Aydin dans de profondes remises en questions. On observe que la frontière entre la compassion et le mépris n’est pas grande puisque le turc se sert majoritairement de ces deux ressentis antagonistes pour construire ses protagonistes. Car oui, ce cinéma est intellectuel et se rapproche le plus souvent de thèmes existentiels. Quel rôle un amant, un frère ou un écrivain doit-il avoir ? Tour à tour chamboulé par ses proches, cet ancien comédien arrogant et fatigué de lui-même est l’un des personnages les plus tristes qui nous ait été donnés à voir au cinéma depuis ces dernières années. Jamais nous n’avions assisté à des dialogues aussi longs et pénétrants. Grâce à l’écriture du cinéaste, dépassant les limites de la précision, nous sommes sûrs de comprendre une chose de cet homme : sa profonde solitude.
Également monteur de ses œuvres, le réalisateur cherche la perfection dans chacun de ses plans et n’a pas peur de nous dévoiler son ambition artistique démesurée, que d’autres pourraient considérer comme de la prétention. Mais avouons-le, Winter Sleep est une création qui ne peut être plus aboutie. Dans ce voyage intérieur, aucune image n’est a enlever, ni aucune mélodie à ajouter. La photographie, tantôt chaude, tantôt lumineuse, reflète à merveille les tourments psychologiques de notre héros. À son image, le public doit faire un travail sur lui et son rapport à l’art afin d’appréhender toute la beauté que le cinéma peut nous offrir. Regarder un film n’est pas toujours une distraction, mais cela ne veut pas dire pour autant que ce n’est pas un plaisir. Encore faut-il avoir le courage et la patience d’apprécier ces objets cinématographiques qui peuvent nous faire grandir.
La scène précédant l’arrivée du titre nous annonce l’essence de Winter Sleep. En opérant un cadrage centré sur son personnage de dos, l’artiste fait progresser sa caméra jusqu’à sa tête, comme si nous entrions à l’intérieur de celle-ci. Dans cette narration purement intimiste traitant pourtant de thèmes universels, notre objectif sera alors le suivant : celui de comprendre l’Homme, dans toute sa splendeur.
Hugo Harnois
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