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Her, de Spike Jonze


Notre société devient abstraite, impalpable. Nous n’écrivons plus, notre machine le fait pour nous. Nous ne jouons plus d’instruments, la console produit des sons à notre place. Nous ne tournons plus les pages de nos livres, l’écran est passé maître dans tous les supports. Dans un futur (pas si) proche, le surdoué Spike Jonze nous raconte une histoire d’amour entre Theodore et un programme informatique nommé Samantha. Vous avez bien lu, une histoire d’amour, la plus belle et la plus triste qui nous ait été donnée de voir depuis un sacré temps.

 

Par où commencer ? La vision brillante et paradoxale d’une société de plus en plus matérialiste ? La réalisation ultra stylisée et lumineuse d’un réalisateur devenu cinéaste ? Ou l’interprétation une nouvelle fois monstrueuse de Joaquin Phoenix ? Débutons par ce qui nous frappe en premier : la solitude d’un être en manque affectif, entouré pourtant constamment de centaines de buildings et d’une foule en perpétuel mouvement. Première contradiction. Plus sa relation avec son ordinateur avance, plus les « amants » s’attachent l’un et l’autre. Par une série de dialogues écrite avec une plume d’or, on comprend comment Theodore peut tomber amoureux d’une simple machine. Mais tout le monde sait que l’informatique n’est pas une science exacte, et que l’addiction dans ce domaine peut être fatale. Deuxième contradiction.

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L’Académie a eu le nez fin en délivrant à Her l’Oscar du Meilleur Scénario, car en plus de livrer l’une des visions sur notre société contemporaine les plus intelligentes depuis bien longtemps, le réalisateur nous touche en plein cœur par cette histoire d’amour. Pourtant habitué à des rôles mémorables (Two Lovers,Walk The LineThe Master), Phoenix nous surprend une nouvelle fois et pourrait nous faire fondre en larmes par son seul regard, ô combien doux et mélancolique. Filmé le plus souvent en plan frontal et rapproché, il donne de toute sa personne pour que le public entre dans une fabuleuse empathie. C’est aussi une véritable renaissance pour Scarlett Johansson. Habituée à mettre sa plastique en valeur, elle ne fait « que » donner sa voix à ce programme informatique pour le faire devenir quelque chose de plus en plus sensuel, et humain. Troisième contradiction.

 

Finissons par le commencement, celui du premier plan. En une séquence longue, fixe et presque dérangeante, Theodore semble se mettre à nue dans une lettre enflammée pour sa compagne. On boit ses paroles au fur et à mesure que cette lecture passionnée progresse, jusqu’à ce que l’on comprenne que son travail consiste à écrire des lettres à de sombres inconnus, et qu’il ne connaît pas la destinataire. Avec cette scène qui s’inscrit remarquablement dans la ligne directrice de Her, l’artiste américain montre à quel point l’être humain est une parfaite antithèse, oscillant entre sentiments profonds et tristes artifices. Quatrième et dernière contradiction.

 

Par l’avancée toujours plus rapide de la technologie, l’homme s’enferme et se déshumanise peu à peu en ne sachant plus comment trouver l’amour. Mais qui a dit que le septième art mourait à petits feux à cause de toutes ces nouvelles inventions ? Il suffit d’avoir le génie de Spike Jonze pour rendre au cinéma ses lettres de noblesse, et se servir de ce support pour dresser un constat aussi abouti artistiquement parlant que sociologiquement. Que demander de plus ?

 

Hugo Harnois.

 

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