Deux ans après Une séparation, le prochain film d’Ashgar Farhadi était très attendu du public comme de la critique. Le réalisateur iranien oscarisé était parvenu à rendre par une mise en scène incroyablement fine, la question du couple, du divorce, de l’individu absolument universelle alors que son film se déroulait à Téhéran, dans une société musulmane. Mais l’écart culturel ne semble pas avoir d’emprise sur ce réalisateur aujourd’hui expatrié en France : une chance pour lui de réaliser dans un contexte politique plus serein car le tournage d’une séparation avait été un peu chahuté. Aujourd’hui, le Passé semble avoir renouvellé l’exploit. Passé à un pouce de la palme d’or dit-on, le film a tout de même récolté le prix d’interprétation féminine pour Bérénice Béjo. Si ce prix est contestable et surprenant, le film a sans conteste une grande valeur.
Ashgar Farhadi filme les histoires des gens. Qu’elles se déroulent à Téhéran ou à Paris n’a aucune importance, ni aucune incidence sur le scénario. Ici, c’est la cellule familiale qui est en jeu : Marie fait venir Ahmad pour qu’ils officialisent le divorce et qu’elle puisse recomposer une famille avec Samir. Mais plutôt que de loger Ahmad à l’hôtel, Marie le fait revenir, reprendre sa place dans la maison mystérieusement dévastée. Le scénario, écrit avec une grande finesse, éclaire peu à peu le mystère de cette dévastation. Si le film est un peu long, les doutes des personnages inutilement exprimés par des déplacements trop lents, la récurrence d’une pluie un peu agaçante, le film est d’une densité incroyable.Ce n’est pas seulement un combat de coq entre deux hommes pour une femme, un foyer. Les questions de culpabilité et d’ambivalence nourrissent constament les personnages. Si le casting est impeccable, Ali Mosaffa et Tahar Rahim d’une grande finesse, sans parler de la vertigineuse présence des enfants et de Pauline Burlet en adolescente bouleversée ; le prix d’interprétation pour Bérénice Béjo est quelque peu surprenant. Pleurs, cris, jeu quelque peu physique ne justifient pas un prix d’interprétation. Il aurait mieux valu récompenser la vraie finesse de jeu de Tahar Rahim qui est tour à tour violent, buté, tendre et blessé.
En bref, je n’ai aucune envie de vous parler plus en profondeur de l’histoire, au risque de vous décourager ou de trop en dire. Sachez seulement que ce film est fort. Il réunit à la fois la mise en scène et le scénario, le tout incarné par des comédiens de grande qualité. Ce n’est plus du réalisme, ou du naturalisme car il y a quelque chose si ce n’est de divin, en tout cas de transcendant, d’extrême chez ces personnages. Ils vivent et incarnent une pietà, au sens pictural du terme : les larmes roulent sur les visages de ces femmes, hommes et enfants qui pleurent le corps mort de leur passé, de leur famille. C’est profondément triste, c’est très humain.